Sur le bonheur (Peut-on être heureux en 2020?)

 

C’est une question un peu à rebrousse-poil de ce que l’on a l’habitude de lire dans la sphère du développement personnel que je pose volontairement ici, je l’admets. Loin de moi l’idée d’affirmer que le bonheur est une quête impossible mais j’ai surtout très envie de réfléchir à ce vaste concept, d’autant plus en ces temps tourmentés où l’idée même d’aspirer encore à être heureux paraît presque indécente…

 

Car si 2020 aura coupé court à certaines de nos ambitions, elle nous aura appris le lâcher-prise, comme si la vie semblait nous rappeler qu’il faut savoir se contenter de peu puisque finalement si peu de choses sont entre nos mains… Mais alors, comment rester motivé, tendu vers nos aspirations, nos envies, ce qui nous fait vibrer et donne un sens à notre vie si en vérité, on ne contrôle plus rien ? Comment rêver, planifier, entreprendre quand tout nous contraint ? Comment ne plus nager à contre-courant mais accepter de se laisser porter tout en ayant encore l’impression d’avoir la main sur notre existence?

 

Par définition, le bonheur est un état de complète satisfaction et de complétion des désirs qui, selon la philosophie antique, serait le but de toute vie humaine. Or les modernes rétorquent que la satisfaction absolue de toutes nos envies étant impossible, l’Homme est voué à connaître une perpétuelle frustration, d’où l’invitation de la morale chrétienne à remplacer cette quête de plaisirs par la vertu…

 

Car si la satisfaction de nos désirs nous apporte de la plénitude et donc le sentiment d’être heureux, faire reposer notre bonheur uniquement sur cette sensation passagère nous condamne à un bonheur tout aussi furtif, éphémère, partiel, évanescent… D’ailleurs pour certains, paradoxalement, celui-ci émerge tout autant dans le contrôle des désirs et ce sentiment de contentement et de toute-puissance qui en découle quand on est alors maître de soi.

 

“ QU’EST-CE QUE LE BONHEUR? LE SENTIMENT QUE LA PUISSANCE CROÎT, QU’UNE RÉSISTANCE EST EN VOIE D’ÊTRE SURMONTÉE ” Nietzsche

 

Le bonheur réside aussi dans l’optique de plaisirs à satisfaire à court ou moyen terme, dans la planification de nouvelles envies à combler, dans le fait de se fixer de nouveaux buts à atteindre. Il s’éprouve donc dans cette attente et le fait de l’entrevoir comme une éventualité dans un futur proche ou moins proche. C’est d’ailleurs cette perspective qui donne du sens à l’existence dés lors que l’on sait faire de chaque jour une opportunité pour nous rapprocher de nos buts ou de nos envies.

 

“ NOTRE BONHEUR NE CONSISTERA JAMAIS DANS UNE PLEINE JOUISSANCE, OÙ IL N’Y AURAIT PLUS RIEN À DÉSIRER; MAIS DANS UN PROGRÈS PERPETUEL À DE NOUVEAUX PLAISIRS ET DE NOUVELLES PERFECTIONS ” Leibniz

 

Or, vivre dans l’attente d’un bonheur futur, conditionné à l’atteinte de certains objectifs ou certaines acquisitions, n’est-ce pas aussi se risquer au désappointement ? Trop attendre de nos lendemains, n’est-ce pas risquer de passer à côté de l’instant et potentiellement se priver de l’éprouver dans le présent ? Car le bonheur «empêché », la frustration, la tristesse viennent souvent de la déception de ne pas avoir ce que nous avons très fortement désiré, après avoir parfois nourri de trop hautes espérances quant à l’objet de toutes nos convoitises…

Pour autant, se contenter de vivre le présent sans tendre vers un but et une forme d’accomplissement, n’est-ce pas aussi prendre le risque de baigner dans l’ennui, passer à côté de sa vie et avoir des regrets quand l’heure du bilan aura sonné ?

 

 

Demandez-vous donc sur quoi vous faites reposer votre sens du bonheur aujourd’hui ? Savez-vous le cultiver dans le présent ou est-ce que vous lui courez après comme une chimère ou comme le graal auquel vous goûterez enfin quand vous aurez le job de vos rêves ou le partenaire idéal ? Est-ce que vous savez creuser et puiser ce sentiment en vous-même ou est-ce qu’il dépend beaucoup de la façon dont les autres se comportent avec vous ? Qu’est-ce qui vous comble de joie dans le présent que vous pouvez vous engager à faire plus souvent ? Y a-t-il un but dans la vie qui incarnerait pour vous le bonheur ultime et que pouvez-vous faire chaque jour pour vous en approcher?

 

Car, en vérité, peut-être que la clef du bonheur se tient là, dans ce savant dosage entre le fait de savoir se contenter des petites choses que la vie nous offre en chaque instant, savoir conjuguer la joie au présent, savoir honorer l’essentiel, tout en ne renonçant pas à nos ambitions pour autant, explorant le champ des possibles autant que nous le pouvons, nous osant à l’aventure, à de nouvelles entreprises qui contribueront à nous faire grandir qu’elles soient laborieuses ou couronnées de succès…

À condition, cependant – et ça sera là, pour ma part, le grand enseignement de 2020 – d’éprouver un certain détachement par rapport au résultat escompté. Car c’est dans ce numéro d’équilibriste entre désir et renoncement, entre trépigner d’excitation, bouillir de désir et contemplation, contentement, entre expectative et abandon, entre euphorie et discernement, dans cet entre-deux magique, dans cette aérienne suspension que l’on peut s’épanouir et se déployer, légers tels des funambules, toujours prêts à nous délecter… même en ces temps tourmentés.

 

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