Comment la crise nous tape sur le système et pourquoi il est important de se le rappeler…

De la fatigue pandémique au travail

Face à la crise, il a bien fallu nous adapter. Heureusement, l’Homme est programmé pour réagir à l’adversité : face à une menace, on se prépare pour y répondre ou on s’arrange pour l’éviter [1]. C’est ce syndrome d’adaptation qui alerte notre système nerveux et qui lui permet de se mettre en branle dès lors que notre vie est menacée.

Or, ici, la menace n’est pas forcément directe et la crise s’éternise… Et avec elle, notre exposition au stress. Alors, quid de son impact sur notre moral et notre santé ? En novembre dernier, l’OMS a alerté l’opinion publique sur la probable survenue de la « fatigue pandémique » dans un rapport intitulé Lassitude face à la pandémie. Remotiver la population pour prévenir le Covid-19 [2]. Depuis, on est désormais en plein dedans et si on en parle beaucoup, c’est tant mieux, car être résilient sans le savoir ou sans pouvoir en parler, c’est la double-peine pour nos psychés déjà bien malmenées…

Alors, parlons-en, concrètement, qu’est-ce que la fatigue pandémique, comment elle se manifeste et comment atténuer son impact au travail ?

-> Isolement, peur pour soi et pour ses proches, sentiment d’aliénation, d’enfermement, difficulté à concilier vie pro et perso alors que tout est chamboulé, cette adaptabilité incessante qui nous est dmandé depuis le début de la crise mobilise toute notre énergie psychique. La fatigue pandémique survient (de la même manière qu’on développe une réaction traumatique) en réponse à une exposition prolongée au stress, qui progressiveent amenuise nos ressources. À cela, il faut ajouter le manque de visibilité quant à une issue de crise et la contrainte de ne pas savoir quand viendra cette fameuse lumière au bout du tunnel…

-> On puise donc beaucoup dans nos ressources sans pouvoir toujours les renouveler, n’ayant plus accès à ce qui nous permettait jadis de le faire (impossibilité de partir en virée s’aérer l’esprit, moins de loisirs possibles, plus d’option baby-sitting, etc.) Ainsi, la source se tarit et nous voilà certes épuisés mais pas seulement, cela peut également nous pousser inconsciemment à baisser la garde et à avoir envie de transgresser les règles ou faire des choses un peu folles qui viendraient rompre avec la monotonie de cet « enfermement ». Concrètement, cet épuisement peut s’exprimer par toutes sortes de manifestations: anxiété, nervosité, manque de sommeil, addictions, pour les plus évidentes, mais aussi problème de concentration, impulsivité, démotivation et perte de sens…

-> Si en temps normal, la sphère professionnelle peut être le théâtre de nombreux drames qui se jouent en silence ou verbalisés, menant parfois à la confrontation, ces jours-ci, il peut être judicieux de garder en tête que nous sommes tous dans la même galère : si vous vous sentez particulièrement exténués de devoir gérer simultanément vos enfants et vos tâches depuis la maison, sachez qu’il se trouve peut-être que votre boss ou l’un de vos collègues n’a pas moins à faire avec deux enfants en plus… Dans la conjoncture actuelle, se rappeler qu’il y a toujours plus mal loti que soi (sans parler des plus affectés) fait relativiser et peut contribuer à maintenir des relations apaisées… Mais voyons surtout comment au travail, chacun a son rôle à jouer  :

* EN TANT QUE COLLABORATEUR :

Puisque nous sommes tous logés à la même enseigne, autant ne pas hésiter à communiquer, ce qui peut servir à l’un pourra bénéficier à un autre. Rien ne sert de prétendre être ultra-disponible si en vérité, vous ne l’êtes pas, et aucun intérêt à prétendre aller bien si ce n’est pas le cas… Il est plus que jamais nécessaire d’être à l’écoute de son état émotionnel mais aussi de ses besoins et il faut d’abord les nommer pour pouvoir les assouvir. Prendre conscience de cette fatigue peut soulager, c’est OK de l’admettre plutôt que de vouloir montrer sa résilience à tout prix…

* EN TANT QUE MANAGER :

Communiquer, c’est bien, à condition qu’il y ait quelqu’un pour entendre. Et c’est là le rôle du manager que de créer cet espace de dialogue et savoir être à l’écoute à un moment où cela semble essentiel… À condition d’être au fait de son propre état émotionnel, l’écoute se faisant toujours à deux niveaux (pour soi et pour les autres). Encore une fois, pourquoi prétendre que tout le monde va bien quand il est de notoriété publique que c’est plutôt le contraire, alors s’épancher sur vos difficultés et contraintes propres permettra peut-être à vos collaborateurs d’en faire autant et de diminuer la pression.

De plus, à un moment où l’Homme se trouve tellement privé de ses libertés, vos collaborateurs risquent d’avoir besoin d’un peu d’autonomie pour préserver leur motivation : c’est le bon moment pour les impliquer, pour être flexible, lâcher la bride, montrer que vous leur faites confiance sera plus bénéfique que d’être trop directif à l’heure de l’ultra-répression…

* EN TANT QUE RH:

Le rôle des RH va être de tenter de recréer du lien. Entre l’éloignement physique et la fatigue pandémique, il est vite arrivé de vouloir s’isoler davantage [3]. Créer des espaces de rencontre même virtuels pour encourager la collectivité à échanger pourra atténuer cette distance déjà creusée.

Face à la crise qui nous rappelle comme nous sommes vulnérables, il semble également important de trouver un moyen de redonner du sens au travail, en gardant en tête combien ce moment peut bouleverser chacun dans ses valeurs profondes…   Enfin, s’il incombe à chacun d’être en veille quant à d’éventuels signes de faiblesse chez un collaborateur, il revient aux RH de pouvoir leur proposer l’accompagnement adapté

En résumé, ce concept de fatigue pandémique doit surtout nous autoriser à lâcher du lest et à avoir plus de compassion que ce soit à notre égard ou vis à vis d’autrui, être conscient qu’à situation anormale, réactions anormales, et qu’en ce moment, rien n’est normal si ce n’est d’être fatigué. Alors, à défaut de pouvoir vous reposer, dites-le haut et fort pour voir, ça devrait déjà soulager…

[1] Fight of flight response ou réponse combat-fuite, concept initialement décrit par le physiologiste Walter Bradford Cannon, professeur à Harvard.

[2] Accessible en anglais, ici : https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/337574/WHO-EURO-2020-1573-41324-56242-eng.pdf?sequence=1&isAllowed=y&ml_subscriber=1647727207612679554&ml_subscriber_hash=h5l6

Ou résumé en français ici : https://www.euro.who.int/fr/health-topics/noncommunicable-diseases/mental-health/news/news/2020/10/how-to-counter-pandemic-fatigue-and-refresh-public-commitment-to-covid-19-prevention-measures

[3] Lire l’article en anglais : How Pandemic Fatigue made us antisocial : https://greatergood.berkeley.edu/article/item/how_pandemic_fatigue_made_us_antisocial?utm_source=Greater+Good+Science+Center&utm_campaign=70eb9e3278-EMAIL_CAMPAIGN_GG_Newsletter_March_30_2021&utm_medium=email&utm_term=0_5ae73e326e-70eb9e3278-75429952

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